Pour le magazine PEP’S
Montessori et l'apprentissage de la lecture
L’approche de Maria Montessori est passionnante ! Elle est issue de tout un cheminement d’observations et d’expérimentations vécues auprès des enfants.
L'observation et le réajustement, la force de Maria Montessori
Maria Montessori arrive aux enfants avec un œil neuf du fait de sa posture de scientifique et non de spécialiste de l’apprentissage, de pédagogue. Son parcours de femme médecin à qui l’on confie d’abord des enfants dits « déficients » l’amène à développer une approche expérimentale reprenant les principes d’une démarche scientifique faite d’observations des enfants eux mêmes, pour comprendre leurs fonctionnements, de questionnements et d’hypothèses, puis de propositions et d’essais auprès d’eux. Elle avance sur son chemin d’accompagnement des plus jeunes par tâtonnements successifs et réajustements permanents. C’est bien cette démarche, cette posture qui me semble être la grande force de cette pédagogie.
J’aime beaucoup utiliser l’image de l’iceberg pour partager ma perception de cette approche, qui n’est pas une méthode d’apprentissage comme Maria Montessori aimait le préciser elle même, puisqu’elle la voyait comme une « aide à la vie » plus que comme une méthode à suivre. Pour moi la partie émergée et visible de cet iceberg c’est tout ce beau et riche matériel ! Lorsque l’on commence à s’intéresser à Montessori on a rapidement tendance à se focaliser sur lui et à penser qu’il en est l’élément essentiel à sa mise en place. En tout cas, au début de mon intérêt c’est ce qui s’est passé pour moi, je me suis empressée d’acheter et de fabriquer du matériel pour le proposer à mes enfants ! La partie immergée et non visible elle va être pour moi ce que l’on appelle l’ambiance, cet environnement préparé sur lequel on agit en évitant d’intervenir directement sur l’enfant lui même. Et puis surtout ce sont nous, les adultes ! Avec tout ce que nous sommes, nos attitudes et nos comportements…
Adapter sa posture d'adulte
Lorsque j’ai commencé à avoir du matériel et à vouloir l’utiliser avec ma fille notamment, qui à l’époque avait environ 2 ans, je n’avais pas pris la mesure de cet aspect là. J’avais tout ce chemin à poursuivre, à entamer même sur certaines facettes ! Autour de cette vaste question de l’accompagnement des enfants et de ma posture, de mon « rôle » de maman.
Pourtant si la pédagogie Montessori repose et s’organise autour de trois éléments principaux : une ambiance pensée pour l’enfant, un support matériel nourrissant et un éducateur à l’attitude adaptée, c’est bien ce dernier point qui me demande en fait le plus de travail ! Il me faut sans cesse repérer mes conditionnements liés à l’apprentissage pour tenter de m’en libérer et laisser ainsi la place à autre chose, et surtout à chacun avec son fonctionnement propre. C’est un long chemin sur lequel chaque enfant avec qui je partage du temps à l’atelier m’aide à sa façon. Sans parler des miens qui sont des champions pour toucher du doigt mes zones d’incohérences et le delta entre mes valeurs et mes actes ou mon attitude !
Pour reprendre l’image de l’iceberg la partie immergée est toujours beaucoup plus importante et imposante que la partie émergée, ici, dans cette métaphore, elle est aussi plus impalpable et subtile…
Reposer régulièrement cela me permet de me reconnecter sans cesse à ce que je perçois comme étant l’enjeu principal de cette approche qui n’est autre que l’épanouissement de l’enfant, ce « constructeur de l’homme » comme le nomme Maria Montessori. Elle s’attache à accompagner l’accomplissement de l’être dans sa globalité, sans jamais oublier l’essentiel : préserver et soutenir le développement de la confiance et l’estime de soi.
Aujourd’hui je vous propose de partager avec vous des outils de cette pédagogie, ou qui s’en inspirent largement, dans le but de pouvoir soutenir nos enfants sur leurs chemins d’apprentissages, de pouvoir répondre à leur curiosité et leurs questionnements, dans une dynamique relationnelle joyeuse, qui s’intègre au quotidien de nos familles ! Pour qu’apprendre soit avant tout l’occasion d’évoluer à son rythme et de grandir en développant confiance en soi et volonté.
Le jeu "Je devine"
Le jeu « je devine » et le développement de la conscience phonologique
On me questionne souvent sur les lettres rugueuses, matériel phare et bien connu de la pédagogie Montessori. Lesquelles prendre ? Comment et quand les proposer ? A cette question, au delà de ma réponse sur ce matériel en lui même*, j’aime parler de cette toute première activité qui ouvre la porte de la progression dite de « langage » : le jeu « je devine ».
Cette activité toute simple qui plaît généralement beaucoup aux enfants, permet de travailler de façon ludique le développement de la conscience phonologique, c’est à dire de la capacité à distinguer les différents sons présents au sein d’un mot, qui le composent et le forment. Les lettres, elles, sont déjà des symboles représentant une partie de ces sons ou phonèmes de notre langue, et il est très intéressant d’éveiller tranquillement dans un premier temps à la distinction des différents phonèmes, c’est une excellente préparation indirecte à la lecture et l’écriture. La pédagogie Montessori travaille énormément via la préparation indirecte, afin de notamment préserver l’enfant du trop d’échecs et d’incompréhensions qui peuvent finir par abîmer l’élan et démotiver ; l’erreur elle est une notion complètement incluse, nous en reparlons !
A l’atelier j’ai donc une boîte pleine de petits objets glanés et récupérés à droite et à gauche, dans laquelle je propose à l’enfant de choisir trois objets, c’est généralement un grand plaisir puisque l’occasion de fouiller dedans! Je suis discrètement attentive à ce que les objets ne commencent pas par le même son, et si c’est la première fois, à ce qu’ils soient plutôt distincts (le trio pelle/table/bouée par exemple viendra plus tard). On peut aussi simplement à l’occasion d’un temps de la vie quotidienne choisir dans ce que l’on a sous la main, comme dans la cuisine par exemple, avec une banane, une orange et un kiwi.
Je commence toujours par vérifier que nous avons le même mot de vocabulaire avec l’enfant pour chaque objet (comme avec mouton et brebis par exemple), pour cela j’utilise ce que l’on appelle la leçon en trois temps**. Puis, l’œil pétillant, je vais dire à l’enfant que « mon petit œil voit un objet dont le nom commence par le son « bbb » (et pas « bbbeuh », on est très attentif à cela, prononcer uniquement le son du phonème sans l’agrémenter d’un « e » ou d’un « é ») ou « bbba » : quand ce sont les toutes premières fois je prends la première syllabe en entier et je vois si l’enfant en a besoin ou pas.
S’il me montre la pomme, je lui demande si dans « pomme » il entend « bbba » ? Parfois je constate que mon essai arrive un peu trop tôt, ce n’est pas grave nous repartons sur des activités plus sensorielles pour travailler l’oreille (les boîtes à sons, ou d’autres plus incluses dans le quotidien comme entendre un aboiement lointain, écouter les oiseaux, etc), d’autres fois il faut quelques parties pour que l’enfant perçoivent de quoi il est question, sur quel chemin je lui propose de balader ! J’observe et je me mets à l’écoute de ce que l’enfant apporte pour m’adapter à chacun.
Quand l’enfant est très à l’aise avec les trois objets, nous pouvons en augmenter le nombre, ou encore élargir l’espace de jeu à une pièce, un lieu, à moi de sentir ce qui est possible pour rester dans la juste mesure entre assez de difficultés pour maintenir l’intérêt et pas trop pour que ce soit toujours possible et chouette à pratiquer.
Plus tard, après avoir bien porté notre attention sur le premier son des mots, je pourrais peut être essayer d’aller visiter le deuxième, il se passe généralement un bon moment avant que ce soit possible de distinguer un son au sein même d’un mot, c’est souvent un pas important. Je dis alors à l’enfant pleine d’espièglerie que je vais lui faire une petite blague, lorsque je travaille avec des enfants plutôt inquiets face à une nouveauté ou autre je leur demande si ça va pour eux et j’en rajoute bien pour qu’il n’y est pas l’ombre d’un défi et qu’ils ne se sentent surtout pas piégé. Je pose alors une bouée, un ballon et un biberon sur la table, nous vérifions toujours le vocabulaire puis, comme habituellement, mon petit œil voit un objet dont le nom commence par le son « bbb », l’enfant va m’en montrer un et, amusée, je vais lui répondre que ce n’est pas celui là auquel je pense ! Un autre, et non ce n’est toujours pas celui là ! Alors je lui dis que ma petite blague c’est que tous les objets commencent par le même son « bbbouée » « bbballon » « bbbiberon », en général c’est à ce moment qu’il en prend conscience. Il faut donc que je lui dise quel son se trouve après « bbb » pour qu’il puisse deviner à quel objet je pense : « mon petit œil voit un objet qui commence par le son « bbb » et juste après « ouuu ».
Parfois les enfants aiment ce jeu et souhaitent continuer à y jouer encore, alors je peux aussi aller chercher le dernier son des mots pour le plaisir de répondre à leur envie de poursuivre avec cette activité qu’ils aiment bien.
Ce qui me semble essentiel lorsque je propose à un enfant de partager une activité avec moi c’est d’être dans une forme de plaisir, l’apprentissage peut être optimal lorsqu’il se produit dans une ambiance de joyeuse confiance. Si j’observe que ça ne fonctionne pas, ce n’est pas grave, on range et on fait autre chose. Si je sens que c’est moi qui me tends parce que ça ne fonctionne pas comme je l’avais imaginé ou espéré (et c’est particulièrement possible lorsque je suis avec mes enfants) j’essaie de l’accepter, de lâcher et de me dire que nous y reviendrons plus tard, qu’il est important que je prenne d’abord le temps de me détendre.
* Je trouve que Le coffret Montessori des lettres rugueuses de Balthazar aux éditions Hatier Jeunesse est bien fait.
** Je la détaillerai dans un prochain numéro 😉
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