Pour le magazine PEP’S
Compter avec Montessori, ou le début de l'apprentissage des nombres
La pédagogie Montessori propose une approche sensorielle, très expérimentale, notamment des apprentissages « scolaires ». Elle est faite de tentatives, d’essais et d’erreurs aussi bien sur !
Les diverses manipulations qu’elle propose à l’enfant lui permettent d’acquérir peu à peu une connaissance de plus en plus fine, parce qu’il apprend par le biais de ses sens et plus particulièrement au travers de la relation entre la main et le cerveau. Pour Maria Montessori rien ne devrait être donné au cerveau sans être passé d’abord par la main, c’est un des fondements de sa pensée : découvrir par la manipulation, le concret avant d’aller plus loin pour cheminer vers l’abstraction.
Quand commencer l'apprentissage des nombres? Entre théorie et pratique !
Je me souviens que lorsque Mihla avait entre 2 ans ½ et 3 ans, elle s’est intéressée aux chiffres, aux nombres, à la quantité des choses, en me demandant de plus en plus souvent : « Combien ? » Elle commençait à chercher à parler de ces notions là. J’ai d’abord pensé qu’elle voulait apprendre à compter ! Avant de doucement me rendre compte qu’en fait son intérêt du moment là était plus lié aux mots, au langage et à sa curiosité pour le vocabulaire de façon générale qu’au fait de dénombrer en lui-même.
Or dans la pédagogie Montessori les progressions dites de « langage » et de « calcul » arrivent comme dans un second temps, puisqu’elles viennent se poser sur des fondations bâties grâce à ce que l’on appelle la « vie pratique » et la « vie sensorielle » :
– Les activités de « vie pratique » sont les premières proposées, elles sont en lien avec la vie quotidienne et intéressent généralement beaucoup les enfants qui aiment imiter les adultes. Attirés par le fait de « faire comme » les enfants s’investissent dans ces activités qui favorisent le développement de la concentration, tout en travaillant la coordination des mouvements, de la motricité globale et l’exercice de la motricité fine. Sur un plateau de vie pratique les objets sont disposés dans l’ordre d’utilisation pour accompagner l’enchaînement logique des actions et permettre à l’enfant de s’organiser peu à peu. Au fil du temps les propositions s’étoffent et se complexifient de façon progressive, au rythme de l’enfant qui grandit, et de la structuration de ses capacités d’organisation et d’attention.
– Dans la continuité arrivent les activités de « vie sensorielle » qui vont lui proposer d’exercer ses sens à la subtilité des nuances, tout en manipulant des concepts sur lesquels les mots arriveront plus tard. A travers l’utilisation de ce matériel, qui invite à observer et comparer notamment via des mises en paires ou des gradations, l’enfant expérimente une certaine forme de précision, organisant peu à peu ses perceptions en appréhendant plus finement les choses. Le matériel sensoriel est un véritable tremplin au matériel de langage et de calcul, qui vont eux poursuivre et développer le cheminement vers un degré d’abstraction plus élevé.
Compter sur le quotidien ...
A l’époque donc, ayant mieux compris l’intérêt de Mihla, que j’impatientais et « perdais » en comptant les choses dont elle me demandait seulement la quantité ! Et ayant aussi cette grille de lecture de la construction de l’apprentissage, je me suis dit qu’il était trop tôt pour aller vers du matériel plus avancé de calcul, contrairement à ce que j’avais pu croire au début… J’ai alors cherché comment répondre à cette curiosité pour les premiers nombres avec d’autres supports, toujours en veillant à les aborder via la notion de quantité.
Dans le quotidien je me suis alors mise à nommer très souvent la quantité des choses: « il reste 3 abricots », « pour le goûter j’ai pris 2 bananes », « on a pris 5 livres à la bibliothèque », etc (de la même façon finalement que je l’avais fait à la période où elle m’avait questionné sur les couleurs !).
Puis j’ai fait une trouvaille à la bibliothèque ! Un livre [1] nous proposait de trouver un certain nombre d’objets, d’animaux ou autres dans des œuvres d’art, idée qui nous a plu et dont nous nous sommes inspirées de façon libre et ludique à la lecture d’autres livres, puisque Mihla en redemandait! Depuis, dans le même esprit, un livre de la collection Balthazar [2], inspirée de la pédagogie Montessori, est sorti sur le sujet, son point très intéressant étant qu’il aborde la notion du zéro !
En parallèle de cet accompagnement j’ai fait le choix de ne pas apprendre à Mihla ce que j’appelle la « comptine » des chiffres et/ou des nombres, c’est à dire à compter sans lier cet apprentissage, ces mots à leurs quantités correspondantes, puisque le faisant plutôt à la façon d’une petite chanson justement.
Partager cette expérience est important pour moi, ça peut être un éclairage avant d’aller visiter l’amorce de la progression du calcul, parce que finalement en échangeant avec d’autres parents je me suis rendue compte que ce phénomène pouvait être assez courant finalement sur les chemins d’intérêts pour les nombres de nos enfants !
Les chiffres rugueux
En ouverture de sa progression de calcul, la pédagogie Montessori prend d’abord le temps de bien poser « le 0 à 10 » via plusieurs matériel différents, dont les deux premiers sont les barres rouges et bleues et les chiffres rugueux. Avec l’enfant nous allons travailler un bon moment « dans le 10 » puisque nous l’utiliserons même pour faire les premières opérations, à quatre chiffres, en le considérant notamment au sein des différentes catégories de nombres : les unités, les dizaines, les centaines et les milliers. Ce qui nous laisse en parallèle l’espace pour aborder tranquillement les spécificités de langage du français pour nommer les nombres de 11 à 19 puis de 20 à 99.
Nous commençons donc par utiliser les chiffres rugueux [3] dans l’idée d’apprivoiser le fait que chaque chiffre est représenté par un symbole écrit, de se familiariser avec et de les connaître. Je commence par en choisir trois, au hasard, afin de pouvoir les travailler avec cette fameuse leçon en trois temps que nous utilisons beaucoup dans la pédagogie Montessori ! Par exemple avec 3 5 et 2 :
dans un premier temps, avec chaque plaquette, l’une après l’autre, je vais toucher le chiffre dans le sens de l’écriture avec chacune de mes deux mains (oui la main non dominante est souvent sollicitée et active même si elle n’écrit pas), et proposer ensuite à l’enfant de faire de même, puis je vais lui donner le nom du chiffre : « c’est trois ! ». J’amène donc le vocabulaire puis lorsque nous aurons toucher les trois successivement,
je vais lui demander dans un deuxième temps : « Est-ce que tu peux me montrer où est 3 ? » Puis 5, puis 2. Les enfants connaissent bien cette leçon en trois temps, puisque nous avons commencé à l’utiliser avec le matériel sensoriel, ils savent qu’il n’y a aucun piège, que je commence toujours par demander dans l’ordre. Je peux déjà sentir si je m’arrête là ou si nous poursuivons en allant un peu plus loin et en demandant dans le désordre, d’ailleurs je préviens toujours : « Attention je demande dans le désordre maintenant, est-ce que tu peux me montrer où est mmm… 2 ! ». Lorsque c’est fluide nous poussons jusqu’au
troisième temps, où en montrant les trois chiffres dans l’ordre je vais demander à l’enfant : « Est-ce que tu sais qui c’est lui ? »
Quand nous sommes allés au bout de la leçon en trois temps avec ce trio là, j’en choisis chiffres et nous continuons !
La numérotation avec les barres rouges et bleues
En parallèle de ce travail avec les symboles des chiffres, je propose aussi à l’enfant de manipuler les quantités avec les barres rouges et bleues : ce sont 10 barres séquencées dans une alternance rouge/bleu tous les 10 cm, allant de 10 cm pour la plus petite à 1 mètre pour la plus grande, l’idée étant de pouvoir sentir la différence de grandeur entre les nombres de 1 à 10. Au départ l’enfant positionne les barres en escalier, dans une logique de gradation qu’il a déjà bien expérimenté avec le matériel sensoriel. Puis ici aussi nous allons avancer à l’aide de la leçon en trois temps en prenant cette fois les barres dans l’ordre : celles de 1, 2 et 3. Pour commencer avec ma main sur la plus petite je vais compter : « Un, ça c’est un ! », puis sur la suivante : « Un deux, ça c’est deux ! », et enfin : « Un deux trois, ça c’est trois! ». Je vais alors demander à l’enfant de mon montrer où est 1, puis 2, puis 3, dans l’ordre, puis nous les prenons éventuellement dans le désordre, si je sens que c’est possible pour lui, pour enfin lui demander : « Est-ce que tu sais qui c’est ? »
Souvent ici je prends le temps, parce que pour beaucoup d’enfants la main et la voix ne comptent pas au même rythme ! Alors nous travaillons tranquillement à leur synchronisation dans la compréhension de ce que nous faisons, c’est à dire compter des quantités.
Puis comme cela se reproduira à d’autres moments dans la pédagogie Montessori nous allons mettre en relation ces deux matériel et associer les quantités à leurs symboles, comme habituellement l’enfant va placer les barres rouges et bleues dans l’ordre sur son tapis, je vais lui demander qui est la plus petite barre, comme nous les avons déjà manipulé plusieurs fois il les connaît bien maintenant, puis je vais lui montrer le 1 à en lui demandant qui c’est, pour nous rendre compte que finalement c’est pareil ! Nous pouvons alors poser le symbole sur sa quantité, et faire de même jusqu’au 9, puis lorsque je sens que nous pouvons y aller j’amène le symbole du 10 en assemblant les chiffres 1 et 0 que l’enfant connaît déjà pour former ce nouveau symbole de quantité.
Les barres vont pouvoir être aussi utilisées dans le désordre si l’enfant le souhaite, et voilà le 10 installé de façon concrète, prêt à être manipuler à l’aide d’autres matériel pour en affiner la compréhension et poursuivre ainsi l’expérimentation des mathématiques !
[1] Je cherche les nombres dans l’art de Lucy Micklethwait
[2] Le livre à compter de Balthazar – A la poursuite du lapin brun de Marie-Hélène Place et Caroline Fontaine-Riquier
[3] Je trouve que le coffret Mes chiffres Montessori d’Eve Hermann est bien fait, il contient des chiffres
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